Un modèle agricole à bout de souffle

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Le modèle agricole dominant se heurte à ses limites et engendre un certain nombre de conséquences « préoccupantes ».  Revue de package….

 

Contribution au changement climatique à hauteur de 20% des GES

Alors que les sols et la végétation sont réputés pour être des puits (de capture) du carbone, l’agriculture contribue pour 19% aux émissions françaises de GES (Gaz à Effet de Serre). En 2018, 85,3 Mt CO2e produites annuellement, se répartissent pour 48% en élevage, 40% en cultures et 12% pour les engins et moteurs. L’agriculture fortement impactée par le changement climatique (hausse des températures, précipitations) est également un contributeur majeur aux GES.

Le secteur agricole est le responsable principal des émissions de  N2O protoxyde d’azote (36 MtCO2e soit 89%), de méthane CH4 (38 MtCO2e soit 68 %), et d’ammoniac NH3 (556 kt soit 94%). Les émissions de N2O sont liées à la chimie et la biologie des sols. Les émissions de CH4  viennent de la vie microbienne au sein du rumen des ruminants laquelle est nécessaires à leur bonne santé.[1] Bien qu’ayant enregistré une baisse de 8% depuis 1990, les émissions de GES sont difficiles à contenir avec les pratiques agricoles.

 

Population agricole en constant recul

441 747 chefs d’exploitation au 31/12/2018 pour la MSA (Mutualité Sociale Agricole). C’est en 2010 que cet effectif est passé sous le seuil des 500 000 personnes. Entre 2009 et 2019, la baisse atteint 12,5 %.

En 1955, on dénombrait 2, 3 M d’actifs : nous avons donc perdu plus de 80% des actifs agricoles !

L’explication tient dans les fortes mutations enregistrées par le secteur et soutenues par les politiques publiques : modernisation des techniques (engrais intrants chimiques machinisme) et aménagement du foncier (remembrement avec la disparition de kilomètres de haies et talus)

Aujourd’hui 3 phénomènes reconfigurent la dynamique du travail agricole :

  • un mouvement de concentration aboutissant à l’émergence de « firme de production »,
  • le recours plus fréquent au travail délégué et à la sous traitance, témoin d’une tertiarisation du secteur,
  • l’arrivée de nouveaux collectifs portés des jeunes, différents des formes habituelles de GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun).

Aujourd’hui l’installation ne va plus de soi. Paradoxalement, les premiers adversaires à l’installation, sont les agriculteurs eux-mêmes : la logique patrimoniale prenant le pas sur des considérations économiques. L’endogamie reste de mise (30% seulement des installations se font « hors cadre » mais bien souvent en filiation indirecte avec le milieu agricole). Résultat sur le 1M d’ha libérés tous les ans, 500 000 ha repartent en agriculture, 400 000 contribuent à la concentration des actifs agricoles et 100 000 ha sont artificialisés.

 

Manque d’attractivité du métier

Déjà pénalisé par sa pénibilité, le métier se caractérise par des revenus, irréguliers  et peu élevés Pour 30%  des exploitations, le salaire est  inférieur à 350 € mensuels[2]. Et le revenu est aussi fortement dépendant des aides de la PAC (Politique Alimentaire commune)

RCAI Résultat courant avant impôt

Sans elles, près de 50 % des exploitations agricoles auraient un revenu courant avant impôt négatif.

Usage des pesticides qui ne faiblit pas

NODU : Nombre de dose unités pour les usages agricoles
Le NODU (nombre de doses unités) correspond à la surface qui serait traitée annuellement aux doses maximales homologuées. Rapporté à la surface agricole utile française, il correspond au nombre de traitements appliqués à pleine dose sur une surface d’un hectare.

Selon la dernière note publiée par le ministère de l’Agriculture en janvier 2020 la quantité de substances actives (QSA) vendues en France, en 2018, a augmenté de +21% par rapport à 2017 :    pour  85 676 tonnes de phytosanitaires vendues.

L’objectif de réduction des pesticides de 50% en 10 ans, fixé en 2009 par la loi de programmation agricole semble impossible à atteindre ! L’échéance reportée à 2025 assortie d’un objectif intermédiaire de moins 25% en 2020 reste toujours hors de portée !

Certes des conditions météorologiques défavorables en 2018 ainsi qu’un effet de stock conduisant à des achats anticipés en prévision de la  hausse des taxes sur les produits sanitaires au 1er janvier 2019, explique, en partie,  la hausse de  2018.

Pour autant l’orientation des courbes n’est pas favorable : 6,5 traitements à pleine dose  par hectare en moyenne en France en 2018

Paradoxalement ce sont aussi les politiques de réductions en particulier des matières actives qui conduisent à une augmentation de l’utilisation des pesticides  « L’État nous a interdit toute une série de molécules très actives, ce qui nous oblige à les remplacer par des produits moins efficaces. On doit donc en mettre beaucoup plus », justifie ainsi Guillaume Cabot, agriculteur dans le pays de Caux en Seine-Maritime.[3]

 

Impact important sur la biodiversité : exemple des oiseaux

2 études du Musée national d’Histoire Naturelle et du CNRS[4] arrivent au même constat concernant la disparition des oiseaux dans les campagnes françaises : réduction de près d’un tiers des populations en 15 ans

Ce déclin s’est encore intensifié en 2016 et 2017, il concerne toutes les espèces généralistes et spécialistes.

Sans ambiguïté cette disparition massive est à imputer aux pratiques agricoles particulièrement depuis 2018 2019 avec la disparition des jachères et la généralisation des néonicotinoïdes précise l’étude. Les chercheurs sonnent l’alerte :

 « le déclin des oiseaux en milieu agricole s’accélère et atteint un niveau proche de la catastrophe écologique »

Il en va de même :

  • pour les insectes : moins 75% de la biomasse d’insectes volants suivie pendant 27 ans dans 63 aires protégées en Allemagne (Hallmann et al., 2017)
  • Pour les vertébrés moins 32% des populations de vertèbres classés et suivis par l’International Union for Conservation of Nature (IUCN) depuis sa création en 1948 (Ceballos et al., 2017
  • Pour les animaux terrestres, les plantes….

Urgence à changer de modèle…

On parle beaucoup de résilience du système alimentaire.  Si la mobilisation des filières et les moyens sont là (371M€ investis tous les ans dans le plan Eco Phyto), il est urgent de passer à un braquet supérieur.

Vu l’urgence de la situation environnementale, sociale et économique du secteur, on comprend bien que c’est un changement de paradigme profond qu’il faut opérer.  C’est donc toute la filière y compris les distributeurs et les consommateurs qui doivent changer leur conception de la valeur des produits agricoles. Les solutions existent mais elles ont un coût elles ont des risques à assumer, à partager  (interventions sur des écosystèmes vivants avec un juge arbitre la météo).

Sommes-nous prêts collectivement à réviser notre rapport à notre alimentation ? Seule voie possible pour changer voire réinventer notre modèle agricole ?

Pour moi, oui et de toute urgence  !

Valérie SENE

Dirigeante, fondatrice

Valsendo : la boussole des organisations professionnelles

 

[1] Rapport Secten – Citepa 2018

https://www.citepa.org/wp-content/uploads/2.4-Agriculture_2020.pdf

[2] Agreste 2017

[3] https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/agriculture-pesticides-france-devaient-baisser-50-ils-ont-augmente-25-79605/

[4] MNHN-CNRS, 2018

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