« Si on aime les gens, alors … »

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…on ne peut qu’aimer les gens qui font la viande !  »  interpelle François Cassignol, Directeur du Pôle Information & Communication de Culture Viande. Il est l’auteur de « Design Branding : (Re)Penser les marques » (Ed. Dunod) et  a accepté de partager sa vision de son métier avec les étudiants de première année de l’IHEDREA[1].

Avec un enthousiasme rare, une profonde connaissance des sujets agri coles et un regard décalé, il répond à leurs questions en leur livrant une analyse décapante assortie de quelques messages « fil rouge ».

 

 

 

 

Pouvez-vous nous présenter Culture viande et nous expliquer vos enjeux ?

Culture viande rassemble les entreprises d’abattage- découpe-préparation des viandes de boucherie (secteurs bovin, ovin & porcin). Nos fournisseurs sont les éleveurs, à qui nous achetons les animaux. Nos clients sont les bouchers, ceux qui vous vendent la viande, soit à la boucherie, soit au rayon boucherie en grande surface, … soit encore au resto, à la cantine, ou à l’export.

Concernant les enjeux du secteur, ils passent beaucoup par l’information et la pédagogie. Lorsque le secteur de la viande m’a contacté il y a 10 ans, devant la soi-disant « inextricabilité » des problèmes, à résoudre, … j’ai dit oui !  Si le traitement médiatique de la viande rappelle en de nombreux points celui du nucléaire, c’est que, forcément, il y a du pain sur la planche. Un vrai, bon, gros challenge pour un communicant, attaché à des valeurs ! Et la filière viande française en a des valeurs. Elle n’a pas attendu que des sujets se hissent au rang de questions sociétales pour les devancer : la prise en compte des sujets environnementaux, nutrition/santé et bientraitance animale structure toute la filière, ses bonnes pratiques et ses savoir-faire que bien des pays nous envient. Le monde bouge. Les filières aussi. Les consommateurs changent. Leur consommation aussi… et pas toujours dans le sens que l’on croit.

 

Quelles sont justement ces évolutions de la société avec lesquelles il vous faut compter ?

Il y a d’abord la très, très forte évolution des modes de vie : l’accélération urbaine, la croissance des infrastructures, l’organisation de chacun « à flux tendu », l’explosion des coûts de la vie (immobilier, énergie, équipement, scolarités, etc)… tout ceci a un fort impact sur les modes de consommation. Les « gens » mangent moins, ou prennent moins le temps, ou encore en ont moins la culture ou l’envie. Nous changeons d’époque. Le Crédoc a qualifié ce syndrôme dont sont atteints les Français de « frugalité alimentaire ».  Ils se sont mis à manger à la fois moins de viandes, moins de produits laitiers et moins de fruits & légumes. 3 raisons expliquent ce changement des habitudes alimentaires :

– il va falloir commencer par arrêter de croire que les Français passent 3x/j à table : concernant le petit déjeuner, ils prennent de moins en moins un café, car ils savent qu’ils vont en prendre 3 au bureau ! A midi, les Français sont nombreux en restauration collective qui importe une grande partie de ses denrées… alors même qu’ils disent ne pas vouloir consommer d’OGM ! (à quoi sert le moratoire de la France qui s’interdit toute culture OGM sur son territoire, on se le demande ! ) Et le soir, parfois, c’est juste « une soupe, un yaourt, une tisane et au lit ! » ;

  • gare également à la déstructuration des repas : les Français mangent de moins en moins de repas structurés. C’est-en-dire structurés en Entrée-Plat-Fromage-Dessert. Comme ils mangent moins d’entrées, moins de plats, moins de fromages et moins de desserts, forcément, ils mangent moins de viandes & poissons, moins de produits laitiers et moins de fruits & légumes ;
  • enfin, observons bien que nous arrivons à l’ère de l’avènement du plat unique. Et il y a un plat unique sur lequel se ruent littéralement les Français : la pizza. Nous sommes passés devant les américains il y a 3 ans et sommes désormais les premiers consommateurs de pizzas par personne au monde ; et cela progresse toujours : en 2020, la pizza est le 1er plat toute catégorie consommé par les Français (devant le sandwich jambon beurre et le burger) [2] ;
  • comptez enfin en ces temps pandémiques avec l’explosion des livraisons à domicile, … tous les signaux sont au rouge : avec toutes ces évolutions à très grande vitesse, la culture de la cuisine, du faire soi-même et des bienfaits d’une alimentation variée, équilibrée et en juste proportion sont en danger.

 

Quels sont vos objectifs de communication ?

Il s’agit, pour beaucoup de sujets, de revenir aux fondamentaux. Être là, disponible, pour répondre aux questions, notamment des journalistes et faire de la pédagogie. La méconnaissance des sujets touchant au vivant, à la nature, est telle que les thèses les plus farfelues se répandent et engendrent des interrogations, quand ce n’est pas un activisme déplacé… et médias & figures politiques populistes s’y engouffrent.

Par exemple, concernant l’environnement, nous expliquons que non, la « fabrication d’un steak » ne consomme pas 15 000 litres d’eau ! … sauf à lui imputer toute l’eau de pluie qui tombe sur la parcelle où se trouve la vache ! Car il faut bien comprendre que certains s’étonnent que la vache ne boive pas toute l’eau de pluie qui tombe du ciel… Enlevez les animaux de la praire, … à qui ou à quoi allez-vous imputer cette consommation d’eau ? à la prairie ? faut-il supprimer la prairie pour autant ? aux nappes phréatiques ? aux ruisseaux et rivières ? à la mer et aux océans ?

De même, en matière de nutrition, la frugalité alimentaire a ses limites ! Tous les médias relaient un appel à consommer « moins de viande ». Or les Français ne consomment que 300g de viande rouge par semaine … soit bien en deçà des recommandations officielles (500g maximum).

Autre sujet sur lequel circulent nombre d’idées reçues, la bientraitance animale : nous montrons la réalité des pratiques, en organisant par exemple l’opération Made In Viande qui vise à recevoir le grand public sur tous les métiers de la filière et dans toute la France. Et pour aller plus loin, la filière déploie un système d’audits « Bientraitance animale » communs, réalisés par des auditeurs indépendants,  et ce,  sur l’ensemble des abattoirs, privés et coopératifs, implantés sur notre territoire : il n’y a pas d’équivalent dans le monde.

 

Qu’est-ce qu’internet a changé ?

Tout ! Dans le secteur de l’alimentation comme dans l’ensemble des autres secteurs, les marques sont invitées à arrêter de faire du vertical (Émetteur–>Message–>Cibles) et descendre de leur piédestal pour être plus au contact des consommateurs qui veulent pouvoir échanger avec leurs marques 24H/24 &7J/7. Ils sont en demande d’informations et de service. Il n’y a plus d’heures d’ouverture et de fermeture qui ne tiennent. Si vous vendez un véhicule, l’Appli de la GMF vous permet d’être appelé dans l’instant et de changer votre contrat d’assurance avec un opérateur ou une opératrice, et ce, à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.

Comme pour une personne, un triple défi se présente donc aux marques, quelles soient entreprises ou filières :

–  se mettre en proximité de ses cibles, de ses parties prenantes ; être là, disponible ; faire ensemble, voire co-construire ;

dire, parler, prendre la parole : alors que de nombreux sujets font débat de société, les marques ne peuvent rester silencieuses. Les sachants ont le devoir d’informer. D’autant plus que Expliquer n’est jamais ingrat : cela hisse vos interlocuteurs à un état de connaissance ;

– et enfin s’engager. S’engager sur des causes. Que ce soit sur l’environnement, la santé, la nutrition, la bientraitance animale, … les consomm’acteurs ont besoin de se rallier à des marques engagées, qui font sens.

Il appartient désormais à chaque marque de mobiliser ses communautés, à commencer par ses salariés. Dans la viande, 50 000 personnes devraient pouvoir dire et expliquer quel est leur métier et comment ils le font. Nous progressons. Sur les réseaux sociaux, où nous partageons des informations sur la nutrition, la qualité, l’environnement, la bientraitance animale… des infos que les médias traditionnels ne relaient que trop rarement : c’est bien connu on ne s’intéresse pas aux trains qui arrivent à l’heure ! Or il y en a. Beaucoup. Y compris dans la viande.

 

Comment faites-vous pour arriver à communiquer sur ces sujets sensibles ?

En appliquant le B.A. – BA de la communication : « Parle de mol, il n’y a qu’çà qui m’intéresse ! » c’est-à-dire « moi la cible » et non « moi l’émetteur » ! Pour cela, il faut permettre au grand public de se projeter dans le message, de se reconnaître dans ce qui est dit et de s’approprier cette information ! Toujours se souvenir que la marque, même ici dans le cas d’une marque collective, est (comme) une personne. Elle doit donc être incarnée. En construisant l’image de marque de Culture Viande, je construis par effet miroir, l’image dans laquelle mes interlocuteurs vont se voir …

Je dois donc prendre en compte les 3 composantes de la construction de l’image :  l’identité (visuelle, présentielle, distancielle, histoire, valeurs, objectifs, … la personnalité en quelque sorte), la notoriété (ex. : nombre de points de contacts), et l’attractivité (en adoptant les problématiques et les engagements de l’époque).

J’ai une conviction forte : aujourd’hui, aimer la viande, passe aussi par aimer les gens qui la font !

Raison pour laquelle nous avons lancé une série vidéo #retour des abattoirs [3] qui donne la parole aux « gens de la viande ». Des « gens » normaux, comme vous et moi, vraiment investis dans leur job, avec de vraies compétences et des savoir-faire. Des pros, qui, parce que passionnés par leur métier et investis d’une mission au service de la population, comme les soignants, continuent à travailler pendant la pandémie pour nourrir le pays ! Bravo à eux.

 

Et merci à François Cassignol pour son partage

Valérie SENE

Dirigeante, fondatrice

Valsendo : la boussole des organisations professionnelles

 

[1] IHEDREA : l’Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole forme en quatre à cinq ans les managers et dirigeants de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de l’aménagement, de l’environnement et de l’immobilier.

[2] Source : Kantar mars 2021.

[3] https://cultureviande.eu/videos-retourdabattoirs/

 

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